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mardi 20 septembre 2011

Perte du lieu , perte du visage en inventeurs du lien social


Perte du lieu , perte du visage en inventeurs du lien social 
La catastrophe et le Care



La catastrophe biopolitique

L'identité rend hommage à un ordre1 que le système biopolitique, héritier des catastrophes du XXe siècle, tend à nous imposer. On y « gère » en interne  des figures acceptables, le malade devient victime indemnisable, le réfugié ne sera toléré que sous couvert d'intégrer l'étiquette du "syndrome post-traumatique" qui remplacera son récit d'un ailleurs et d'un propre, le handicapé devra s'effacer devant son plan de compensation standardisé. C'est l'usage du corps qui semble avoir disparu, alors que le sujet est ontogéniquement inachevé, en devenir,  que le corps est trajectoire sur un désir d'exil, que les migrations et les ruses de vie chaperonnent le sujet à l' « autre du monde », étoffent sa contenance, ce contrepoint du réseau asymétrique et dynamique de liens, ou « Care ». Dans l'illusion politique d'autonomie qui cherche à contenir ces expériences singulières émanant du corps des minorités, dans cet ancrage obligé de l'identique au centre, selon des relations symétriques à faible énergie sociale de transfert, les liens inégaux d'interaction devenus vacants flottent au vent de l'inorganique, de l'entropique, de la douleur et de la haine. Ne reste-t-il, à l'individu moderne dépossédé du citoyen, que ce seul sentiment d'autonomie au prix d'une dépossession radicale ?


Ré-inventer le Care

Le handicap physique est du registre de la perte du visage, le handicap mental de celui de la perte de la volonté, l'espèce est au-delà, elle est du registre d'une forme douée de mémoire, tout corps est un pacte avec la forme, et notre plainte est bien interne à notre forme. L'éternité est mouvement des hommes et mouvement des corps, travail sur la limite: la liberté nous vient de l'exil, du voyage périlleux, et de l'exploration – douloureuse – des différents degrés des possibles du corps se débattant face à l'entropie du monde. Inachèvement constitutif du sujet, mais processus de production continue de corps, contenance traversable de pensées et liens à l'autre. La contingence constitutive  de ce corps n'est qu'exacerbée lors de l'exil (perte du lieu), du handicap physique (perte du mouvement) ou mental (perte de la réflexion): l'inachevé, processus ontologique diachronique, porte en lui son contenu positif, mais ne permet aucun havre où l'on pourrait souffler, et l'assistance est contrepoint de cet inachèvement. Le sujet dans sa construction psychique marche vers cette absence, cet effondrement; la liberté navigue dans un ailleurs et une différence, décalages qui nécessitent et favorisent l'établissement d'un réseau de liens inégaux, dynamiques et diachroniques, le réseau du Care, réponse naturelle  à cette catastrophe biopolitique qui a déjà eu lieu: ne pas se laisser disperser. Refaire du lien entre le corps organique obligé de vivre, (...) et les restes de l'être humain, masse affective séparée, inconsciente2, tel est l'enjeu, dans le handicap psychique comme dans le traumatisme. Refaire circuler l'altérité, l'innovation-compensation, à partir du couple aidant-aidé, en synergie et combinatoire diachronique: le Care en processus collectif anti-entropie sociale. Ouverture du "soi" sur "l'autre du monde", stratégie de positionnement, mais à point de départ individuel telle la karuna de l'hindouisme, le Care devrait permettre à nouveau, tout au long d'un processus empathique dans lequel le vulnérable sert de boussole, de "boucler la boucle" entre le sujet et la victime, car le débat pourra alors se déplacer, non plus sur une distinction arbitraire entre "indépendants" et "dépendants", mais sur la distinction entre ceux qui peuvent se procurer le Care dont ils ont besoin et ceux qui ne le peuvent pas. Il s'agit bien  de penser  ce maillage et non une logistique de l'aide à la personne; un réseau adaptatif à des situations toujours singulières, une manière d'être des professionnels, et non une « simple » série d'actes dans une théorie médicale des besoins.


Vers une psychopathologie du Care ?

Croire posséder l'objet désiré  peut-il vraiment faire taire les corps ? La pathologie des masses arendtiennes, secondaire au traumatisme total du XXe siècle, est bien au-delà du simple déplacement du conflit névrotique. On ne touche plus les  corps, l'aide humaine est devenue numérique, et de la rupture du lien entre Alter, mais aussi de la résistance de l'espèce au possible de l'auto-agression, nait une nouvelle schizophrénie du sujet, autonome/victime. Une société Schizobiopolitique. Des questions:


1. La réparation en demande. Maladies déficitaires, malformations congénitales, en autant de représentations retranchées, traumatismes d'avant la naissance du sujet (mais quel sujet peut-il se déclarer déjà né ?), qui peuvent faire retour, qui sont au travail constant dans la construction du sujet. Mais qu'en est-il du passage à l'acte lorsqu'on est en situation de grande dépendance ? Qu'est-ce qu'un passage à l'acte chez le sujet lourdement handicapé ? Dans le couple aidant-aidé ? Et cela peut-il apporter des éclairages nouveaux aux situations de malévolence/maltraitance ? En d'autres termes, peut-on penser une psychopathologie du réseau d'aide à la personne, dans une anthropologie psychanalytique du Care ?


2. De l'Ego dans le réseau ? Le narcissisme - primordial plus que primaire – s'inclut bien dans la compassion puisque son objet premier est le sujet inclivé, ce pré-sujet non-encore en devenir, non-amputé encore de représentations retranchées prénatales, de clivages traumatiques, d'exil géographique, d'amputations de sa chair par maladie, de sa fonction par  handicap. Si le sujet déjà-toujours morcelé est l'objet de la psychanalyse, l'amour partiel qu'il peut offrir à un fragment de lui-même devient étranger à la compassion; mais si l'objet de la psychanalyse est de « récupérer » les morceaux perdus dans le développement du sujet, de lui permettre de retrouver la trajectoire qui a conduit à ces amputations obligées pour avancer, si la psychanalyse est une marche diachronique vers l'inclivé, concomitante à la marche du sujet vers son effondrement, alors le narcissisme se fond dans la compassion.



3. Le lien est naturel et diachronique, le sujet inachevé s'étaye à ce lien, car la contingence de sa contenance nécessite l'énergie de cette liaison. La pulsion de mort, ce concept freudien tardif, discuté et quelque peu énigmatique, n'est-elle alors que déliaison, qui libère l'énergie à l'inorganique ? Déliaison de ce lien d'amour, abandon passif à l'inorganique, et non énergie pulsionnelle autonome; des liens brisés du réseau naturel du Care, livrés et flottants au vent de l'inorganique, délivrent alors leurs courants de mort (que l'on nous déclare haine) ?





Pour exhumer une vérité essentielle,
quelque chose doit être sacrifié 3 




1. M. de Certeau, L'écriture de l'histoire
2. S. Ferenczi
3. A. Ronell, Test Drive

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